En Chine aussi, retarder les retraites...

En Chine aussi, retarder les retraites...

Dans vingt ans, en Chine, les personnes de plus de 60 ans devraient être près de 300 millions, soit environ un tiers de la population

Sources

  • Gu Xin1 et Yu Hui2, « Les spécialistes appellent à la mise en place d’un système de pensions populaires de base », Caijing, 16 juillet 2012.
  • Wu Jie3, « Les fonds de pension doiventils être investis en Bourse ? », Nanfang Zhoumo, 21 décembre 2011.
  • Lan Fang4, « Le fardeau des retraites : comment combler le déficit de l’assurance vieillesse chinoise ? », Xin shiji, n° 35, 6 septembre 2012.
  • Fu Weigang5, « La réforme du hukou peut atténuer la pression sur le paiement des retraites », Xin shiji, n° 36, 10 septembre 2012.
  • Lang Xianping6, « La Chine est en train de devenir l’un des pays au monde où le système vieillesse est le moins adapté », Baoxian shenghuo, 26 septembre 2012.

Sachant que l’âge de la retraite est fixé actuellement à 60 ans pour les hommes, à 55 ans pour les femmes cadres et à 50 ans pour les ouvrières, la viabilité du système des retraites semble loin d’être assurée. Mais si le vieillissement de la population est la principale menace qui pèse sur les retraites chinoises, elle n’est pas la seule. « La Chine est en train de devenir l’un des pays au monde où le système vieillesse est le moins adapté », affirme Lang Xianping. Et il ajoute : « le système de pensions existant à l’heure actuelle n’est pas transparent, pas équitable et ne prend pas en compte bon nombre de problèmes ». De plusieurs points de vue, la réforme des retraites s’avère donc urgente.

Capitalisation partielle

Une « dette héritée du passé » (历史债务, lishi zhaiwu), c’est ainsi que Lan Fang, journaliste à Caixin, décrit le déficit des retraites chinoises. Il explique que, conséquence de la libéralisation, la nécessité d’une réforme des retraites se fait sentir dès la fin des années 1980. En effet, avant cette date, les retraites étaient fournies aux employés des entreprises d’État sans qu’ils aient eu besoin de cotiser pendant leur vie active. Or, les réformes de l’ère Deng Xiaoping, introduisant l’autonomie financière des entreprises publiques, ont rendu plus aléatoire le financement des retraites de leurs employés.

En 1986, une directive du Conseil d’État (国务院, guo wu yuan) pose la base des retraites professionnelles, financées conjointement par les employés et les employeurs. Cette décision ne s’applique alors qu’au niveau des municipalités et ne concerne que les travailleurs contractuels employés dans des entreprises d’État. La couverture de cette assurance retraite professionnelle ne cesse ensuite d’être élargie, au fur et à mesure de la publication des directives de 1991, 1993 et 1995. Dans le même temps commence à apparaître l’idée d’une capitalisation partielle7 du système, qui fonctionnait jusque-là par répartition8.

C’est la directive du Conseil d’État de 1997, « au sujet de l’établissement d’un système unifié de retraites professionnelles de base » (企业职工基本养老保险制度, qiye zhigong jiben yanglao baoxian zhidu), qui pose les bases du système de retraite actuel. Il s’agit d’un système mixte, dans lequel les employés doivent cotiser dans des fonds de pension individuels destinés à payer leurs propres retraites, tandis que les entreprises doivent cotiser dans un fonds de pension provincial, lequel sert à payer les pensions des retraités actuels. Le taux de cotisation a été précisé en 1998, et est resté pratiquement inchangé jusqu’à aujourd’hui : pour les employés, 8 % de leur salaire, et pour les entreprises, 20 % de la masse salariale (dont 17 points sur 28 vont au fonds de pension provincial). Les employés recevront ensuite, au titre de leur retraite, 20 % du salaire moyen de leur province.

Plusieurs catégories de personnes sont alors distinguées en fonction de leur âge. Ceux qu’on appelle la génération des « vieux » (老人, laoren) étaient déjà à la retraite avant les réformes et n’ont donc jamais cotisé. Leur pension est financée par ceux qui sont encore actifs au moment de la réforme. Quant à la « génération de transition » (中人, zhongren), ses retraites sont calculées au cas par cas selon leur participation aux deux systèmes.

Déficit des fonds de pension

Le problème, explique Lan Fang, est que le système de retraite a commencé à dysfonctionner dès sa mise en place, car les gouvernements locaux ont « emprunté » l’argent des comptes individuels pour subvenir aux besoins pressants des « vieux » retraités, notamment dans les anciennes provinces de l’industrie lourde comme le Liaoning, où certaines des anciennes entreprises d’État déficitaires ont mis leurs employés à la retraite bien avant l’âge légal.

Très vite, ce phénomène de « comptes vides » (空账, kongzhang) a alerté les autorités centrales, qui ont interdit en 2000 le « détournement » de l’argent des fonds de pension individuels. Un programme pilote de remboursement des comptes individuels par les provinces a été mis en place dans le Liaoning en 2001, puis a été étendu progressivement à treize provinces jusqu’à 2009.

Selon l’auteur, ce programme s’est traduit par un échec, malgré l’extension de la couverture aux catégories des travailleurs indépendants, commerçants et travailleurs à « contrat flexible », censée augmenter les fonds disponibles. En 2011, selon un rapport de l’Académie des sciences sociales de Chine sur le développement de l’assurance retraite, les comptes « vides » représentaient 1 700 milliards de yuan, soit presque 90 % de la somme totale des comptes individuels (estimés à 1 900 milliards de yuans).

Néanmoins, pour les auteurs, la situation n’est pas aussi dramatique que ces chiffres pourraient le laisser penser. Zheng Bingwen explique en effet qu’à l’échelle nationale, le fonds de retraite dégage 2 000 milliards de yuans de bénéfice, mais que cet argent reste stocké dans les régions les plus riches et ne peut pas venir combler le déficit des régions endettées. Selon l’auteur, ce fractionnement par province du système de retraite engendre des dysfonctionnements majeurs et il appelle à l’établissement d’un fonds de pension unique à l’échelon national.

Dépréciation des fonds

Outre le déficit record, les fonds de pension individuels souffrent de la dépréciation de leur valeur au fil du temps. Les particuliers sont en effet obligés de placer leur épargne de retraite soit dans des obligations d’État, soit dans des comptes ordinaires de banques locales, tous deux offrant des taux d’intérêt très faibles. Zheng Bingwen explique ainsi que, entre 2000 et 2008, le taux d’intérêt des fonds nationaux d’assurance sociale n’a pas dépassé 2 %, un chiffre plus bas que le taux d’inflation durant la même période. Pour Guo Shuqing, le président de la Commission chinoise de régulation boursière, CSRC (证监会, zhengjianhui), les particuliers devraient être libres de placer leur épargne de retraite dans des banques nationales ou des sociétés spécialisées afin de “préserver et d’accroître leur valeur” (应保尽保, yingbaojinbao).

L’investissement en Bourse de ces fonds de pension est également une réforme clé, qu’encouragent tant Guo Shuqing que Dai Xianglong, président du Conseil national de la caisse de sécurité sociale (社保基金, shebaojijin) et ancien gouverneur de la Banque centrale. « Certes, l’investissement en Bourse est toujours risqué et fluctuant, admet-il, mais du moment qu’on préserve les trois principes de l’investissement - “ investissement socialement responsable ” (责任投资, zeren touzi), “investissement de long-terme”(长期投 资, changqi touzi) et “investissement de valeur” (价值投资, jiazhi touzi) - investir en Bourse est le meilleur moyen d’augmenter la valeur des fonds de pension ».

Par ailleurs, dans un contexte de croissance, de hausse des salaires et d’inflation, certains auteurs remettent en question le bien-fondé du principe même d’un remboursement des « comptes vides ». Selon Zheng Bingwen, étant donné la tendance économique actuelle de la Chine, « il n’y a pas de besoin immédiat de remplir les comptes ». L’auteur souhaiterait voir mis en place un « système de virtualisation des comptes » (记账式养老保险模式, jizhang shi yanglao baoxian moshi), selon lequel les fonds de pension individuels consistent uniquement en une somme nominale et fictive, tandis que l’argent est utilisé pour payer les pensions des retraités actuels. Au moment où les cotisants arrivent à leur tour à l’âge de la retraite, l’État leur verse une retraite calculée selon le taux actuariel.

Financement étatique

Le système chinois est en théorie fondé sur les trois piliers traditionnels des assurances retraite, à savoir la solidarité étatique, la cotisation professionnelle et l’épargne volontaire. Dans le cas de la Chine, le deuxième pilier prédomine en fait largement.

Le financement étatique n’existe actuellement que sous deux formes : les subventions aux provinces déficitaires et les pensions des employés du secteur public. Les subventions étatiques aux provinces endettées représentent actuellement 20 % du système des retraites. Si le chiffre paraît important, Tang Jun, journaliste à Caixin, fait remarquer qu’il est encore faible, comparé à certains pays développés comme le Japon. Par ailleurs, certains spécialistes considèrent que le financement étatique des retraites du public est inéquitable. Lan Fang explique ainsi que, dans le Liaoning, les employés du secteur privé touchent en moyenne 1 800 yuans par mois, tandis que les anciens salariés du public reçoivent 3 800 yuans sans jamais avoir eu à cotiser pour leur retraite. Liu Haining, chercheur au Centre d’économie et de gestion de l’université aérospatiale de Shenyang, affirme également qu’une harmonisation des retraites du public et du privé est urgente. Comme les salariés du public ont généralement un emploi stable, cette réforme permettrait en outre de stabiliser les cotisations sur le long terme.

Plusieurs auteurs réclament la mise en place d’une retraite de base, distribuée par l’État à tous ses citoyens, quels que soient leur appartenance ethnique, leur richesse et leur lieu de résidence, en prenant en compte seulement leur âge. Pour Gu Xin et Yu Hui, établir ce « pilier de solidarité étatique » constitue une « priorité urgente » (当务之急, dangwuzhiji) et représenterait « l’infrastructure du développement social » (社会性基础设施, shehuixing jichu sheshi). Ils préconisent de fixer à 65 ans l’âge à atteindre pour toucher cette retraite, qui serait fixée à un niveau minimal de 1 000 yuans par personne et par an. Cette somme unique versée par le gouvernement serait un outil essentiel pour la reconnaissance du rôle social de l’État et pour l’harmonie sociale.

Wang Huijuan conseille également de procéder à un financement par l’impôt afin de mettre en place une couverture universelle et des taux de cotisation bas. Cela aurait selon lui pour effet de diminuer les coûts de gestion et de redistribuer les richesses.

Une meilleure couverture

La menace la plus grave qui pèse sur le système de retraites chinois est sans aucun doute le vieillissement de la population. À l’heure actuelle, la population active est largement suffisante pour payer la retraite de ses aînés ; mais, dans vingt ans, en Chine, les personnes de plus de 60 ans représenteront près d’un tiers de la population. « Étendre la couverture de l’assurance retraite » (扩大养 老保险参保面, kuoda yanglao baoxian canbaomian) est donc une priorité reconnue par tous. Cependant les moyens pour y parvenir sont multiples et ne se résument pas au recul de l’âge de la retraite, largement débattu ces derniers temps.

Le recul de l’âge de la retraite est en effet très impopulaire. Pour Liu Haining, le problème que pose le recul de l’âge de la retraite tient essentiellement à la force d’attraction du système. Pour un an de plus de cotisation, les Chinois augmenteront leur pension de seulement 1 %. Pour les cotisants, le choix le plus sage est donc de sortir du système le plus tôt possible, afin de pouvoir profiter de leur retraite tout en trouvant un autre travail.

Si l’âge de la retraite est reculé, ce qui malgré tout paraît justifié au vu de la mortalité de plus en plus tardive, il faudra donc baisser le taux de cotisation afin de conserver la force d’attraction du système. À l’échelle nationale, ce taux est de 28 % du salaire, ce qui est beaucoup plus que dans la plupart des pays développés.

Zuo Xuejin, vice-président de l’Académie des sciences sociales de Shanghai, appelle donc à une baisse du taux de cotisation minimum obligatoire à 12 % du salaire des employés, et précise qu’il s’agit de la condition préalable à l’extension de la couverture de l’assurance retraite, en particulier pour les travailleurs migrants et les employés possédant un contrat flexible. Lang Xianping rappelle aussi que, a contrario, les pensions versées pendant la retraite sont beaucoup trop faibles et ne permettent pas de vivre décemment, ce qui plonge beaucoup de personnes âgées dans la misère.

Parallèlement à ces mesures, Fu Weigang insiste sur la nécessité d’intégrer les travailleurs migrants au système de sécurité sociale. Outre l’amélioration de l’équité sociale, cela aurait pour avantage d’accroître considérablement les cotisations et de rajeunir la population cotisante. Selon les statistiques de la ville de Shanghai, ce sont 10 millions de personnes, âgées en moyenne de 31,6 ans, qui seraient concernées. Mais Fu Weigang explique que le problème principal est de donner à cette population l’accès aux services de base, ce qui les convaincra, en échange, de cotiser pour leur retraite.

Pour Gu Xin et Yu Hui, c’est le système entier du hukou qui est à réviser, puisque ce système de registre civil ne correspond plus à la réalité sociale. De nombreuses personnes âgées, expliquent-ils, vont rejoindre leurs enfants dans une autre province, mais ne parviennent pas à faire modifier leur hukou. Les services publics ainsi que les assurances maladie et vieillesse ne peuvent donc plus se fonder sur ces registres mais doivent prendre en compte le lieu de résidence réel.

Enfin, les menaces qui pèsent sur l’assurance vieillesse incitent les chercheurs à proposer de remettre en question la politique de l’enfant unique, qui est la cause du vieillissement si rapide de la société chinoise. Aujourd’hui, déplore Wang Huijuan, chercheuse à l’académie de sciences sociales du Liaoning, le taux de natalité dans le Liaoning est de 0,64 %, et donc plus bas qu’un enfant par femme. « J’ai peur, dit-elle, que dans 100 ans il n’y ait en Chine plus que des personnes du troisième âge ». Zuo Xuejin, vice-président de l’Académie des sciences sociales de Shanghai, affirme également qu’il faudra sans doute envisager prochainement de revenir sur la politique de l’enfant unique. « Si l’on permet à chaque chinois de faire un deuxième enfant, dit-il, cela ne causera pas un grand désordre sur terre» (让大家生二胎,不会天下大乱, rang dajia sheng er tai, bu hui tianxia daluan).

Les idées ne manquent donc pas pour réformer le système de retraite afin de le rendre viable à long terme, et plus équitable.

1: Gu Xin est professeur à l’Ecole de gouvernement de l’université de Pékin.

2: Yu Hui est chercheur à l’Institut d’économie industrielle de l’Académie des sciences sociales de Chine.

3: Wu Jie est journaliste à Nanfang Zhoumo.

4: Lan Fang est journaliste à Caixin.

5: Fu Weigang est chercheur au Shanghai Institute of Finance and Law.

6: Lang Xianping est consultant auprès de la Banque mondiale et du gouvernement de Hong-Kong, il est également professeur en finance d’entreprise à l’université chinoise de Hong-Kong.

7: 现收现付制 (xianshouxianfu zhi) en chinois. La retraite par répartition est un système de financement des pensions de retraite qui consiste à alimenter celles-ci directement par les cotisations prélevées au même moment sur la population active.

8: 积累制 (jilei zhi) en chinois. La retraite par capitalisation fonctionne sur le principe de l’accumulation par les travailleurs d’un stock de capital qui servira à financer les pensions de ces mêmes travailleurs devenus inactifs.

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