Réforme foncière rurale

Réforme foncière rurale

La campagne, l’agriculture et les agriculteurs - le « triple problème de la Chine rurale » - restent au centre des préoccupations de la nouvelle équipe dirigeante chinoise.

Sources

  • Liu Weibai, Chen Liuqin et Li Zhong, « Analyse des innovations en matière de transferts de terre rurale en Chine », Jiazhi Zhongguo Wang, 6 avril 2012
  • Zuo Lin, « Derrière la destruction des tombes à Zhoukou (Henan) : un gain de dix milliards de yuan pour le gouvernement », Fazhi Ribao, 18 décembre 2012
  • Peng Zhenhuai et He Xuefeng, « Faut-il accorder la propriété foncière aux agriculteurs ? », Xinjingbao Pinglun Zhoukan, 5 décembre 2012
  • Xu Chenggang, « Conséquences sociales du monopole d’Etat sur la propriété foncière », Zhongguo Gaige Wang (China Reform), 13 avril 2011
  • Zuo Yonggang, « Comment augmenter le revenu des agriculteurs ? La nécessité d’une réforme foncière », Zhengquan Ribao, 25 décembre 2012

Le 18e Congrès du Comité Central du PCC a souligné la nécessité de « réformer le système de réquisition des terres », et, lors de la Conférence centrale sur le Travail Rural qui s’est clôturée le 22 décembre 2012, le gouvernement a réaffirmé sa volonté de « maintenir la croissance du revenu des agriculteurs au moins sur le même rythme que celle du revenu des citadins ». Au sein de la question rurale, la réforme foncière cristallise espoirs et polémiques. Les débats portent principalement sur les transferts de terres, permettant de moderniser l’agriculture et d’accroître le revenu des agriculteurs, et sur une meilleure coordination du développement rural et urbain.

Transferts de terres

Pour nos auteurs, la modernisation de l’agriculture passe par la transformation des « exploitations familiales sous contrat » (土地承包经营, tudi chengbao jingying) en de grandes exploitations, plus productives et plus rentables. Ils appellent ainsi à faciliter le transfert de terres, c’est-à-dire de l’ensemble des transactions permettant de modifier l’attribution de leurs droits d’utilisation et de disposition.

Selon Liu Weibai, Chen Liuqin et Li Zhong, les transferts de terres sont trop strictement limités par la loi1, qui prévoit que la propriété foncière, collective, ne peut être ni vendue ni échangée (sauf par réquisition du gouvernement). Seuls les « droits d’utilisation des terres » (土地使用权,tudi shiyong quan) peuvent faire l’objet d’un transfert. Celui-ci ne doit cependant pas détourner les terres de leur usage agricole ni excéder la durée du contrat d’exploitation d’origine.

Malgré ces contraintes légales, les transferts de terres sont couramment utilisés et peuvent s’effectuer sous différentes formes, selon les besoins des parties concernées. Les formes de transfert les plus répandues à l’heure actuelle sont, par exemple, la « sous-traitance » (转包, zhuanbao) et l’ « échange » (互换, huhuan) de terres au sein d’une même collectivité rurale. L’échange permet notamment de remettre en culture des espaces construits et des friches industrielles et de réduire les tensions entre développement urbain et exigences agricoles. La « location » (出租, chuzu) à un grand exploitant ou une entreprise agricole est également populaire. Elle peut également se faire par l’intermédiaire de la collectivité rurale, qui se charge de trouver un exploitant.

Enfin, la « capitalisation des terres » (土地股份制,tudi gufen zhi), moins courante, a été expérimentée dans certaines provinces chinoises. Elle peut avoir lieu à l’initiative d’un exploitant individuel ou de la collectivité rurale, comme ce fut le cas à Nanhai. Dans ce canton du Guangdong, les droits d’usage des terres ont été mis en commun sur la base du volontariat, puis divisés en parts proportionnelles à l’apport initial. Ces droits ont ensuite été loués par la coopérative d’actionnariat à des fins essentiellement non agricoles. Les paysans profitent ainsi de la transformation de leur terre agricole en zone industrielle, puisqu’ils touchent une part des profits provenant de sa location.

Cependant, selon Liu Weibai, Chen Liuqin et Li Zhong, ces succès ne doivent pas faire oublier que les transferts de terres se heurtent à de nombreux obstacles. Tout d’abord, le flou juridique qui entoure ces transferts conduit à de nombreux abus. Les transferts se font souvent contre la volonté des agriculteurs, pour des loyers très bas (généralement 6000 à 9000 yuan par hectare et par an) et pour des durées excédant celle de leur contrat d’exploitation. En outre, les auteurs expliquent que la volonté de remembrer les terres se heurte au manque de capitaux et de protection sociale disponibles pour les agriculteurs. Ils appellent de leurs vœux une réforme juridique et une action forte afin de garantir les intérêts des agriculteurs.

L’exemple de Zhoukou

Les failles juridiques du système des transferts de terres ont également pour conséquence la diminution de la surface des terres cultivées, ce qui nuit à l’autonomie céréalière de la Chine et à la stabilité sociale de ses campagnes.

Dans son article pour Fazhi Ribao, Zuo Lin explique que la demande accrue de terres constructibles a favorisé les détournements de terres au profit de l’urbanisation et de l’industrie. Les gouvernements locaux, attirés par le profit et désireux de développer les espaces urbains, ont joué un rôle important dans ce dépeçage, réquisitionnant des terres ou fermant les yeux sur leur occupation illégale.

Cela explique pourquoi, en 2012, la superficie des terres arables en Chine approchait de la « ligne rouge » de 1,8 milliards de mu (亩), soit 120 millions d’hectares fixée par le Conseil d’Etat dans son « Programme national pour l’utilisation des terres »2.

Dans la préfecture de Zhoukou au Henan, la pression foncière a conduit en 2012 à une campagne très controversée de destruction de plusieurs millions de tombes, que la révision du Statut sur la gestion des cimetièressup>3 en novembre a légalisée a posteriori.

Considérée comme la première province productrice de céréales, le Henan a un taux d’urbanisation très bas (38,7% contre 51,27%sup>4 pour la moyenne chinoise) et une économie faiblement développée. En octobre 2011, la création de la Zone économique de la plaine centrale en avait fait une région prioritaire pour la modernisation de l’agriculture et le développement coordonné de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la production céréalière. En réalité, la pression sur les terres agricoles s’est intensifiée et a abouti à l’interdiction de poursuivre les enterrements en plein champ, selon la coutume du Henan, et à la destruction de 3,5 millions de tombes.

Zuo Lin explique que cette décision s’inscrit dans le contexte plus large du plan de construction des « nouvelles communautés rurales » (新增耕地, xinzeng gengdi), qui consiste à réunir plusieurs villages administratifs au sein d’habitats plus denses et rénovés. Afin de promouvoir à la fois l’urbanisation et la protection des terres agricoles, le canton de Zhoukou a été autorisé à mettre en place une planification commune des terres urbaines et rurales. Il s’agit notamment de récupérer pour l’usage urbain les terres supplémentaires, libérées par la restructuration de l’habitat rural et la destruction des tombes (增减挂钩,zengjian guagou).

Vers une propriété individuelle?

Des voix s’élèvent pour réclamer des réformes foncières plus radicales. Selon le chercheur Peng Zhenhuai, la clé du problème rural réside dans la propriété foncière individuelle. Pour lui, « les agriculteurs sont pauvres parce qu’ils ne bénéficient pas d’un revenu de propriété stable et reconnu par la loi. Ne pas faire valoir cette cause de pauvreté (…), c’est guérir les symptômes et non la racine du problème ». Il appelle à une réforme du système de propriété foncière, de façon à rendre les agriculteurs plus libres de disposer de leurs terres.

L’enjeu est de taille : il y va de la stabilité dans les campagnes, mais aussi de l’équilibre du système économique. La demande intérieure étant un moteur essentiel de la croissance chinoise, l’inégalité croissante entre les revenus ruraux et urbains pourrait nuire au dynamisme économique.

Pour Xu Chenggang, la question est également éthique. En effet, le monopole de l’Etat ou de la collectivité sur la terre permet les expulsions forcées d’agriculteurs par les gouvernements locaux. Il affirme ainsi que « le gouvernement peut ainsi violer en toute légalité les droits des agriculteurs sur leur terre » et évoque un « risque systémique » de corruption gouvernementale. Pour lui, le problème foncier est la principale cause de tensions sociales en Chine.

Enfin, l’auteur explique que les prix très élevés de l’immobilier en Chine sont dus en grande partie aux contraintes juridiques qui limitent le transfert des terres. En effet, le manque de terres constructibles provoque une hausse des prix qui se répercute sur le marché immobilier.

Zuo Yonggang avance un autre argument : le monopole de l’Etat sur la terre constituerait un frein à l’urbanisation. Il explique en effet que la Chine ne connaît pour l’instant qu’une « semi-urbanisation » : tandis que la surface des terres urbaines augmente, la population urbaine officielle diminue, en raison du nombre important de « migrants de l’intérieur » (农民工, nongmingong). Le système d’enregistrement de la population (hukou) et les contraintes de la propriété foncière collective en sont les premiers responsables.

Une réforme foncière aussi radicale ne fait cependant pas l’unanimité. Beaucoup de chercheurs insistent sur la nécessité de contrôler l’usage des terres afin d’éviter la diminution de la surface des terres arables. D’autres, comme le chercheur He Xuefeng, rappellent que les agriculteurs profitent de l’exonération des taxes rurales établie dans beaucoup de province et estiment que les agriculteurs ne bénéficieraient pas de la propriété foncière individuelle.

D’après une enquête en ligne citée par Zuo Yonggang, 30 % des internautes estiment nécessaires de réformer le système foncier. Si une réforme radicale de la propriété foncière semble encore lointaine, la gestion des terres rurales demeure au cœur des réflexions, qui nourrissent à leur tour de nombreuses expérimentations locales.

1: Les textes de référence sont la « Décision du Comité central du PCC sur les différentes questions cruciales concernant la réforme et le développement des zones rurales » (中共中央关于推进农村改革发展若干重大问题的决定 zhonggong zhongyang guanyu tuijin nongcun gaige fazhan ruogan zhongda wenti de jueding) de 2008, la Loi foncière (土地管理法 tudi guanli fa) de 1986 et la Loi sur les contrats agricoles (农村土地承包法 nongcun tudi chengbao fa) de 2002.

2: 《全国土地利用总体规划纲要 (2006—2020年)》

3: 《殡葬管理条例》 (binzang guanli tiaoli).

4: Selon les chiffres officiels du Bureau des Statistiques fin 2011.

This article was first written for the China Analytica, which is the copyright holder.