Une urbanisation à plusieurs vitesses

Une urbanisation à plusieurs vitesses

Sources

  • Xie Guozhong1, « La mégalopolisation », Caixin, 10 décembre 2012.
  • Ye Weiqiang2, « Liu Shouying3 : «Il faut réformer le mode d’urbanisation» », Caixin, 25 juillet 2012.
  • Yang Weimin4, « Le principal problème de l’urbanisation est désormais sa mauvaise qualité », Caijing, 6 janvier 2013.
  • Wen Guanzhong5, « L’urbanisation peut suivre l’exemple de Shenzhen », Caijing, 29 juillet 2012.
  • Liu Zhijie6, « Tang Min7 : «Pourquoi la Chine doit développer ses grandes agglomérations urbaines» ? », Caixin, 24 septembre 2010.

À la mi-août 2012, le Livre bleu sur l’urbanisation publié par l’Académie chinoise des sciences sociales a annoncé que, en Chine, la population urbaine dépassait pour la première fois la population rurale.

Cette nouvelle est d’autant plus significative que, selon le Premier ministre Li Keqiang, l’urbanisation, en tirant vers le haut la demande intérieure et en permettant des économies d’échelle, est « le principal moteur de la croissance économique chinoise »8.

Avec une augmentation d’un point de pourcentage par an depuis 1978, le taux urbanisation chinois (城市化, chengshihua, ou 城镇化, chengzhenhua9) atteint désormais 51,3 %, selon les derniers chiffres publiés par le Bureau national des statistiques. Et ce phénomène ne cesse de se poursuivre, encouragé et subventionné par le gouvernement, avec pour objectif d’atteindre 65 % d’ici 2030. Ce phénomène d’envergure ne doit cependant pas faire oublier les déséquilibres importants et les risques humains, financiers et environnementaux qu’induit l’urbanisation chinoise.

Métropoles en tête

Les chiffres de l’urbanisation chinoise cachent en effet de grandes disparités, en tête desquelles la répartition déséquilibrée du réseau urbain et l’incapacité latente des villes petites et moyennes10 à trouver une place dans le réseau urbain chinois. Selon Xie Guozhong, ces villes ne parviennent pas à attirer les populations en raison du manque de compétitivité de leur tissu industriel. L’augmentation rapide des prix de l’immobilier a également contribué à dissuader les Chinois de s’installer dans ces villes moyennes, qui n’offrent pas les mêmes perspectives que les grandes villes en termes d’emploi et de services.

Au cours des années 2000, ce déséquilibre a été l’une des préoccupations principales du gouvernement, qui a mis l’accent sur l’urbanisation des « petites villes » (小城市, xiao chengshi), ainsi que sur l’industrialisation des campagnes. Mais cette tendance a laissé place depuis quelques années à une autre priorité gouvernementale, centrée sur le développement des grandes villes.

Selon Yang Weimin, l’avenir de l’urbanisation chinoise réside en effet dans les mégalopoles, qui permettent des économies d’échelle et la concentration des ressources nécessaires pour assurer la croissance économique chinoise. L’attention des politiques publiques se porte donc désormais en priorité sur trois zones à haute concentration urbaine : le golfe de Bohai (Pékin et Tianjin), le delta de la rivière des Perles (Canton, Shenzhen et Hong Kong) et le delta du Yangzi (Shanghai et Nankin).

Un meilleur équilibre

À l’échelle de la ville, le défi d’une urbanisation harmonieuse est tout aussi important. Embouteillages, pollution, gaspillage des ressources naturelles, prix élevé des logements : les grandes villes chinoises concentrent en effet tous les maux de l›urbanisation moderne. Selon Li Keqiang, l›objectif d›urbanisation n›est donc pas uniquement quantitatif, mais également qualitatif. Les objectifs exprimés dans le XIIème Plan quinquennal ainsi que dans les discours les plus récents du nouveau gouvernement chinois insistent donc sur la protection de l’environnement et le développement d’infrastructures permettant une meilleure qualité de vie dans l’espace urbain.

Selon Yang Weimin, les dysfonctionnements des villes chinoises sont à imputer à leur mode d’expansion. Celui-ci déplore en particulier le développement spatial des villes chinoises en cercles concentriques (« en forme de crêpe » : 摊大饼, tandabing), au gré des opportunités immobilières et des migrations spontanées. Selon lui, ce mode de développement est beaucoup trop consommateur d’espace. La densité de population dans les villes chinoises n’a en effet cessé de décroître depuis trente ans, passant de 19 000 à 10 000 habitants au km² entre 1981 et 2008. L’objectif de regroupement des populations en unités urbaines plus denses a par conséquent été désigné comme un objectif essentiel lors du XVIIIe Congrès du PCC, en novembre 2012. La meilleure répartition des pôles financiers, universitaires et industriels dans les grandes villes a également été mentionnée. L’industrie, dont la présence dans les villes a un fort impact sur la qualité de vie urbaine (notamment en raison de la pollution qu’elle engendre), devrait être repoussée dans les périphéries urbaines. Enfin, selon tous les auteurs, le prix très élevé des logements dans les villes chinoises devrait être mieux contrôlé par le gouvernement afin de réduire les inégalités et la ségrégation spatiale qui en découlent.

Défis économiques

Le prix des logements, outre les inégalités qu’il produit dans l’accès à la ville, suscite beaucoup d’inquiétudes de la part des économistes chinois. Liu Shouying souligne que, depuis la création d’un marché foncier en 1992, les revenus tirés de la transformation des terres agricoles en terres urbaines constituent désormais une part importante du budget des gouvernements locaux. Ces derniers, ainsi que les promoteurs immobiliers, ont donc contribué à une hausse très importante des prix de l’immobilier au cours des deux dernières décennies.

Selon Xie Guozhong, le problème est aussi imputable au gouvernement central, qui a pratiqué une politique de relance colossale après la crise financière de 2008, encourageant en particulier la construction d’infrastructures urbaines et le marché immobilier. Ce plan de relance, censé redonner vigueur à l’économie, a surtout alimenté la spéculation et a provoqué l’apparition d’une importante bulle immobilière. Les prix de l’immobilier ont en conséquent flambé entre 2009 et 2010.

Depuis quelques années, cependant, les ventes de biens immobiliers se sont stabilisées. Selon l’auteur, les villes petites et moyennes, ne possédant pas une industrie assez compétitive pour attirer les populations environnantes, sont les premières affectées par la crise. La chute des ventes pourrait mettre leurs gouvernements respectifs et les banques en grande difficulté. Le défi de l’intégration

Enfin, les chiffres officiels de l’urbanisation chinoise ne doivent pas faire oublier une réalité sociale beaucoup plus complexe. En effet, les auteurs s’attachent également à décrire un phénomène parallèle de l’urbanisation, qu’ils qualifient de « semi-urbanisation » (半城市化, ban chengshihua). En effet, l’urbanisation chinoise est calculée sur la base de la « population résidente » (常住人口, changzhu renkou), c’est-à-dire qui demeure plus de six mois sur le territoire administratif d’une ville. Or, 80 % des nouveaux citadins, soit 200 millions de personnes, constituent en fait une « population flottante » (流动人口, liudong renkou) dont l’urbanisation n’est pas réellement acquise. Des obstacles institutionnels, au premier plan desquels figure le hukou, empêchent ces « paysans-ouvriers » (农民工, nongmingong) de jouir des mêmes avantages que les citadins en termes d’accès au logement, aux soins, aux assurances et à l’éducation. Leurs très bas salaires contribuent également à les repousser dans les périphéries semi-urbaines et dans les quartiers défavorisés des grandes villes.

Parallèlement, la réforme foncière de 1994 a permis aux gouvernements locaux de réquisitionner les terres rurales et de les transformer en zones urbaines, gonflant artificiellement les statistiques. Ainsi, Liu Shouying estime que, tandis que la superficie des villes chinoises a progressé de 7 % pendant la dernière décennie, la population porteuse d’un hukou urbain n’a crû que de 3 % par an, atteignant 36 % de la population chinoise en 2012.

Pour Yang Weimin, l’urbanisation complète des nongmingong sera l’une des tâches les plus importantes du gouvernement central au cours des prochaines années. Il estime le coût des mesures destinées à permettre l’intégration de cette population à 100 000 yuans par migrant, soit 2 000 milliards de yuans par an au total11. Outre la question financière, nos auteurs soulignent qu’une urbanisation harmonieuse de la population chinoise rend nécessaire la réduction des inégalités entre la ville et la campagne.

Ils appellent donc de leurs voeux une réforme profonde du système d’enregistrement civil, du régime d’assurances sociales, ainsi qu’une réforme foncière protégeant les droits des paysans concernant la terre.

1: Journaliste à Caixin.

2: Journaliste à Caixin.

3: Directeur adjoint du centre de recherche sur le développement au département d’études rurales du Conseil d’État.

4: Yang Weimin est vice-directeur du Bureau du groupe central de direction des affaires financières et économiques (中共中央财经领导小组办公室副主任人)

5: Professeur d’économie au Trinity College (Hartford, Connecticut) et à l’université de finance et d’économie de Shanghai.

6: Journaliste à Caixin.

7: Secrétaire général de la Fondation pour la recherche pour le développement de la Chine.

8: Dans un article publié en septembre 2012.

9: Le deuxième terme est apparu dans les années 1980 pour mettre l’accent sur le développement des petites villes et bourgs ruraux. Cependant, les deux termes sont aujourd’hui devenus des synonymes.

10: Les villes chinoises sont généralement classées en trois catégories : les « villes de première ligne » comprennent Pékin, Shanghai, Shenzhen et Canton ; les « villes de deuxième ligne » sont les autres grandes villes ; et les « villes de troisième ligne » sont les villes petites et moyennes.

11: Le calcul est fait selon l’hypothèse que seuls 10 % des travailleurs migrants (20 millions d’entre eux) souhaiteront ou pourront s’installer en ville.

This article was first written for the China Analytica, which is the copyright holder.