La réforme du gaokao

La réforme du gaokao

Le gaokao, équivalent du baccalauréat en Chine, fait peau neuve.

Sources

  • Sun Wenjing1, entretien avec Yang Dongping2, Xie Xiaoqing3 et Wu Hua4, « Discussions à trois sur la réforme du gaokao : un demi-pas en avant », Caixin, 10 octobre 2014.
  • Chen Zhiwen5, « La réforme du gaokao a besoin de davantage d’indulgence », Le Quotidien du peuple, 5 septembre 2014.
  • Ge Yahan6, « Les dix points principaux de la réforme du gaokao », China Youth Daily, 5 septembre 2014.

Dans ce que le journaliste Chen Zhiwen appelle « l’empire des concours » (考试大国, kaoshi daguo), le gaokao (高考), équivalent chinois du baccalauréat, apparaît comme le fer de lance (ou « baguette de direction », 指挥棒, zhihui bang) du système éducatif chinois. Le classement à ce concours détermine en effet non seulement l’université mais aussi la discipline des futurs étudiants7. Influençant directement l’avenir de millions d’élèves, la réforme du gaokao, finalement annoncée le 4 septembre 2014 par le Conseil d’État, a fait l’objet depuis quelques années d’une intense attention publique et de vives polémiques.

Selon Yang Dongping, l’un des inspirateurs et des conseillers de la réforme, les trois objectifs principaux étaient de favoriser « l’équité de l’examen » (考试公平, kaoshi gongping), d’« améliorer la qualité de l’enseignement au lycée » (引导高中素质教育, yindao gaozhong suzhi jiaoyu), et de « sélectionner de manière plus scientifique les étudiants » (科学选拔人才, kexue xuanbo rencai).

Ce projet de réforme, qui modifie à la fois le contenu et l’organisation de l’examen, les politiques de discrimination positive ainsi que le rôle des universités dans l’admission des étudiants, est considéré par les journalistes et les experts interrogés par Sun Wenjing comme le plus complet et le plus important depuis la réintroduction du gaokao en 1977.

Cependant, si les avancées sont nombreuses, les spécialistes de l’éducation interrogés dans l’article de Caixin parlent d’un « demi-pas en avant » (高考改革只迈出半步, gaokao gaige zhi maichu banbu). D’une part, comme il est de coutume en Chine, le projet de réforme sera tout d’abord expérimenté à Shanghai et dans la province du Zhejiang, avant d’être étendu dans tout le pays à l’horizon 2017. D’autre part, la tension entre des objectifs contradictoires a obligé les réformateurs à trouver un équilibre parfois fragile.

Un examen plus équitable

La volonté d’instaurer un examen plus équitable, préoccupation auparavant secondaire, est devenue la priorité des réformateurs et le mot d’ordre du projet de réforme. Selon Yang Dongping, plus de la moitié des douze mesures prises en octobre 2014 sont liées à cette volonté.

Ces mesures visent essentiellement à supprimer les passe-droits et la corruption qui minent l’équité de l’examen, et à atténuer le phénomène de reproduction sociale désigné par l’expression « les enfants de familles modestes sortent difficilement de leur condition » (寒门难出贵子, hanmen nanchu guizi).

D’après l’article de Ge Yahan, le projet de réforme prévoit ainsi de réduire drastiquement les programmes permettant à certains étudiants d’obtenir des points supplémentaires au gaokao (加分项目, jiafen xiangmu) en raison de leurs résultats dans certains domaines. Le journaliste explique que ces programmes avantagent trop les étudiants qui en bénéficient et donnent lieu à de nombreux abus, notamment à travers le phénomène des « fausses qualifications » (资格造假, zige zaojia)8. Les programmes favorisant les artistes et les sportifs seront ainsi supprimés d’ici 2015, tandis que les programmes permettant d’obtenir des points supplémentaires réservés à d’autres matières seront réduits et contrôlés plus sévèrement.

Une autre mesure-phare du projet prévoit l’approfondissement de la politique de « recrutement ciblé » (定向招生, dingxiang zhaosheng). Cela se traduit par l’augmentation au sein des grandes universités côtières des quotas pour les élèves provenant de provinces éloignées, issus de milieux défavorisés ou appartenant à des minorités ethniques. Lancée en 2007, cette politique avait porté ses fruits en réduisant à 10 % l’écart, dans la proportion d’admis au gaokao, entre la moyenne chinoise et celle de la province où cette proportion est la plus faible. L’objectif pour 2017 est de réduire cette différence à moins de 4 %.

Enfin, le projet de réforme prévoit également le développement de la politique lancée en 2012 visant à accorder des points supplémentaires aux élèves originaires de zones défavorisées. Le gouvernement projette d’élever à 800 le nombre de districts (县, xian) concernés par cette politique, contre 600 aujourd’hui, ce qui représente 50 000 personnes contre 30 000 en 2013. Pour Yang Dongping, interrogé par le magazine Caixin, « les politiques en direction des populations défavorisées » (对弱势群体的政策, dui ruoshi qunti de zhengce) vont dans le bon sens, mais leur efficacité est réduite du fait de leur manque de précision et de cohérence. Non seulement les populations défavorisées vivant dans des provinces relativement riches seront laissées de côté, mais existe également le risque que « les enfants de cadres profitent de cette politique » au détriment des autres (官员子弟搭便车, guanyuan zidi da bianche).

Yang Dongping estime donc que la politique en faveur des populations défavorisées doit être menée à une échelle nationale, selon des critères plus précis, et avec une grande stabilité temporelle, afin de porter ses fruits. Il met en avant l’exemple américain de la « discrimination positive » (肯定性计划, kending xing jihua) comme un modèle à suivre dans l’intégration des catégories les plus défavorisées au sein du système scolaire.

Réorganisation de l’examen

D’après Yang Dongping, si la reformulation et l’approfondissement de la politique chinoise de discrimination positive apparaissent comme des enjeux majeurs de la réforme du gaokao, une partie importante du projet est également consacrée à l’organisation des évaluations. Dans ce domaine, les objectifs des réformateurs sont à la fois d’améliorer la qualité de l’apprentissage des élèves et de diminuer la pression du « concours unique qui décide de leur avenir » ( 一考定终身, yi kao ding zhongshen).

La plus importante des mesures proposées en ce sens, selon Yang Dongping, est le lien établi entre deux examens jusqu’ici totalement indépendants : le gaokao et le « contrôle des connaissances » (高中学业水平测试, gaozhong xueye shuiping ceshi). Le gaokao était jusque-là l’unique évaluation déterminant l’accès des élèves à l’université, tandis que le contrôle des connaissances était un examen validant les années de lycée.

La prise en compte du contrôle des connaissances dans les résultats déterminant l’entrée à l’université s’explique par la volonté de ne pas surcharger les élèves de travail. Ge Yahan explique ainsi que, désormais, seules les trois matières principales (chinois, mathématiques et langue étrangère) (语数外, yu shu wai) seront intégrées au gaokao. Les trois matières facultatives, en revanche, ne seront évaluées qu’au sein du contrôle des connaissances et choisies librement parmi les différentes disciplines enseignées au lycée. Les notes obtenues seront ajoutées à celles du gaokao pour former une note générale qui déterminera l’admission des élèves à l’université.

Le contrôle des connaissances pourra en outre être passé deux fois et seule la meilleure note sera retenue. Ce nouveau principe, appelé « valider aussitôt la matière étudiée » (学完即考, xuewan ji kao) ou « valider matière par matière » (一门一清, yi men yi qing), est censé réduire le stress des lycéens et la pression qu’ils ressentent.

Une autre innovation importante est la suppression de l’ancienne distinction entre sections littéraire et scientifique. Les matières optionnelles seront désormais choisies librement, sans distinction de filières, parmi toutes les disciplines enseignées au lycée, afin d’offrir aux lycéens une plus grande souplesse dans leur parcours.

Ces mesures, saluées unanimement par les journalistes et les spécialistes interrogés, soulèvent cependant plusieurs interrogations. Yang Dongping évoque notamment des difficultés de mise en place : en effet, contrairement au gaokao, le contrôle des connaissances n’est pas un examen centralisé et il est géré par les localités, à des niveaux très variables. Il sera donc nécessaire d’harmoniser, voire d’unifier toutes les procédures de contrôle des connaissances afin de parvenir à une meilleure équité entre les différentes villes et régions. Selon Wu Hua, des difficultés sont également à prévoir dans la gestion et la répartition du corps professoral entre les différentes matières, qui risquent d’être fortement modifiées.

« Si les avancées sont nombreuses, les spécialistes de l’éducation intérrogés dans l’article de Caixin parlent d’un “ demi-pas en avant ”.»

Rationaliser la sélection

Le troisième objectif du projet de réforme, consistant à améliorer l’efficacité du système d’admission à l’université, est considéré comme primordial par les trois experts interrogés dans l’article de Caixin. Ceux-ci s’accordent à dire qu’il est essentiel d’accorder plus de liberté aux universités, afin que celles-ci puissent recruter selon des besoins et des critères propres.

Il s’agirait donc d’« abolir le système de note unique » (打破总分评价, dapo zongfen pingjia) pour introduire un modèle plus souple et plus varié. En effet, affirme Yang Dongping, il est incohérent de recruter selon les mêmes critères des étudiants dans des domaines très différents. Wu Hua appelle également à une complète décentralisation et à une libéralisation du système d’admission, afin d’élever le niveau des universités. Dans cette perspective, Xie Xiaoqing cite les États-Unis comme modèle, en prenant l’exemple d’ETS (Educational Testing Service), une organisation privée qui offre une gamme de tests variés aux universités américaines.

La réforme semble être très timide dans ce domaine. L’article du Youth Daily indique que le projet de réforme prévoit d’étendre et d’améliorer l’expérience effectuée par un groupe de 90 universités pilotes qui ont depuis 2013 « recruté librement » (自主招生, zizhu zhaosheng) 5 % de leurs élèves (soit 25 000) ; mais aucune mesure de grande envergure n’a été prise dans ce sens.

Selon Wu Hua, en effet, le projet de réforme du gaokao montre que la Chine ne parvient toujours pas à se débarrasser de l’idéal de planification centralisée qui caractérise encore son système éducatif. Yang Dongping explique en outre que le système centralisé d’admission à l’université, permettant un mode d’évaluation unifié et objectif, constitue un rempart contre les passe-droits que les personnes chargées du projet de réforme n’ont pas souhaité abattre. Selon lui, une telle réforme ne pourrait être introduite qu’en lien avec un système de recrutement extrêmement clair et des critères d’admission transparents.

Finalement, comme l’explique Chen Zhiwen, c’est précisément dans cette tension entre équité et efficacité que réside la difficulté de la réforme. Toute la question est de trouver un « difficile équilibre entre le souci de rendre l’évaluation plus «scientifique» et celui d’équité des chances » (在公平与科学之间做艰难的平衡, zai gongping yu kexue zhijian zuo hen nan de pingheng). Pour ce qui est de ce difficile arbitrage, les rédacteurs du projet de réforme de 2014 semblent avoir choisi de se concentrer en priorité sur la question de l’équité.

1: Journaliste à Caixin.

2: Professeur au centre de recherche sur l’éducation de l’Université de technologie de Pékin, directeur du centre de recherche sur l’éducation du magazine 21st Century (21 世纪, 21 shiji).

3: Directeur du centre de recherche de sondages sur l’éducation de l’Université des langues de Pékin.

4: Professeur au département d’éducation de l’Université du Zhejiang, responsable du centre de recherche sur l’enseignement privé de l’Université du Zhejiang.

5: Journaliste au Quotidien du peuple.

6: Journaliste au Youth Daily.

7: Les candidats au gaokao établissent en effet une liste de voeux indiquant les universités dans lesquelles ils souhaitent s’inscrire et les matières qu’ils souhaitent étudier.

8: Certains élèves, ne réunissant pas les critères requis pour être éligibles à ces programmes spécifiques, parviennent tout de même à en profiter grâce à une fraude aux certificats ou à la remise de pots-de-vin. Ce phénomène a attiré l’attention du ministère de l’Éducation qui a insisté, en juin 2014, sur la nécessité de mettre fin à ces pratiques frauduleuses.

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